Tout est histoire de contexte et de pratiques sociales.
par Annie Couëdel
Quand jâarrive Ă Vincennes en 69 je suis engagĂ©e comme chargĂ©e de cours Ă la « section français pratique » du dĂ©partement Français Langue EtrangĂšre, lâautre composante du dĂ©partement est la « section mĂ©thodologie ». Les cours de français pratique devaient/auraient dĂ» selon les mĂ©thodologues, servir de classes dâobservation du bon usage des mĂ©thodes audio-visuelles en vogue Ă lâĂ©poque, or, comme le dit Oseni dans Vivre la langue, elles transformaient les Ă©tudiants en « machine Ă rĂ©pĂ©tition ». DâoĂč le refus catĂ©gorique des Ă©tudiants de sây soumettre.
Je reviens des Etats-Unis oĂč jâai enseignĂ© le français langue Ă©trangĂšre dans deux Ă©tablissements universitaires, Wells College, dans lâĂ©tat de New York, puis Chicago State College, deux annĂ©es marquĂ©es par un contexte dâune extrĂȘme violence : en 68, le 4 avril, assassinat de Martin Luther King, le 5 juin, de Bob Kennedy. Et puis, en 69, Ă Chicago State College, les Ă©tudiants afro-amĂ©ricains revendiquent la crĂ©ation dâun centre culturel afro-amĂ©ricain, dâoĂč occupations rĂ©pĂ©tĂ©es, interventions de la police, et, en rĂ©ponse Ă une fin de non-recevoir de lâadministration, ils mettent le feu Ă la tour de leur College⊠Comment dans mes cours, ne pas prendre en compte ce que nous Ă©tions en train de vivre ensemble ? DâoĂč lâabandon de la mĂ©thode Voix et image de France en total dĂ©phasage avec le contexte.
A Vincennes, Il faut se souvenir du contexte socio-politique de la fin des annĂ©es 70, des menaces qui pĂšsent sur les Ă©tudiants Ă©trangers en particulier : menace de dĂ©mĂ©nagement, menace de lâArrĂȘtĂ© Soisson â prioritĂ© donnĂ©e aux Ă©tudiants des pays Ă technologie avancĂ©e au dĂ©pens des Ă©tudiants du Tiers-Monde ; menace sur la Section français pratique que certains veulent voir transformer en service commun prĂ©-universitaire (et pourquoi pas payant !) qui deviendrait un passage obligĂ© pour les Ă©tudiants nâayant pas « un bon niveau de français » ce qui signifierait la non-reconnaissance des UV dans leurs cursus, menace aussi qui pĂšse sur les enseignants qui dĂ©rangent les mĂ©thodologues qui , de ce fait, ne leur reconnaissent pas le droit Ă lâexpĂ©rimentation avec leurs Ă©tudiants.
Le contexte Ă©tait propice Ă faire entrer dans les cours le monde extĂ©rieur afin quâil nây ait pas de rupture entre le dedans et le dehors. Câest dans ce contexte que mon cours sâest constituĂ© en 1974 en ComitĂ© de dĂ©fense des Ă©tudiants Ă©trangers contre lâapplication de lâArrĂȘtĂ© Soisson qui a donnĂ© ensuite naissance au ComitĂ© parisien pour lâabrogation de cet arrĂȘtĂ©. Câest ainsi quâun premier dispositif est nĂ©. Il se structurera Ă travers le temps avec le concours dâenseignants du dĂ©partement â Françoise Chiclet, Jean-Pierre Soucaille et Nicole Blondeau et dâautres encore â avec toujours le prĂ©cieux concours des Ă©tudiants mon cours comme lâillustre Vivre la langue â pour aboutir Ă un dispositif transposable ce qui sera abordĂ© au moment de la discussion qui suivra la projection.
Câest en 1977 que nous introduisons la vidĂ©o comme support mĂ©diatique de nos luttes. Nous rĂ©alisons avec les Ă©tudiants un premier film Vincennes comme espace vĂ©cu et puis, un an plus tard, Vivre la langue. La vidĂ©o permet de toucher un large public en vue dâune plus grande sensibilisation et mobilisation pour la dĂ©fense de Vincennes et dâune pĂ©dagogie du français langue seconde.
Vivre la langue montre/dĂ©montre quâon pouvait/devait dĂ©fendre Vincennes comme universitĂ© expĂ©rimentale et que les pratiques sociales gĂ©nĂ©rĂ©es par la rĂ©alisation collective dâun projet en prise avec la rĂ©alitĂ© permettait dâacquĂ©rir plus sĂ»rement la langue et le langage autorisĂ© du contexte institutionnel ce qui Ă©tait, pour nous, la condition sine qua non de la rĂ©ussite dans les Ă©tudes et dans la vie sociale.
Ce film est lâillustration de la recherche-action que nous avons menĂ©e avec les Ă©tudiants â tous Ă©trangers Ă ce moment de lâhistoire â et mes collĂšgues du dĂ©partement FLE : Françoise Chiclet, ici prĂ©sente, et Jean-Pierre Soucaille, qui nous a hĂ©las quittĂ©, cette recherche portant sur les aspects psycho et socio-cognitifs qui interviennent dans lâacquisition dâune langue et progressivement sur les diffĂ©rents Ă©lĂ©ments qui participent Ă la construction de lâacteur social.
Câest partir de ces expĂ©riences successive quâun dispositif sâest Ă©laborĂ© et permis Ă un grand nombre dâĂ©tudiants Ă©trangers et, plus tard, dâĂ©tudiants français, de vivre la langue et de se construire dans cet espace de Paris8-Vincennes et par-delĂ les frontiĂšres.
Ce dispositif, Ă effet rhizomatique, a fait naĂźtre en 1984 le CIVD (Centre Interculturel de Vincennes Ă Saint-Denis) qui lui-mĂȘme a donnĂ© lâONG LâAMAP (LâAmitiĂ© des Peuples du Monde) en 2004, Ă ramifications multiples : en Kabylie grĂące Ă Nacer AĂŻt Ouali, au Chili avec MickaĂ«l Roudaut, Deneb Camousseight et Salvador Ramirez, prĂ©sent dans Vivre la langue, en Colombie avec Marcos Ramirez (Intercultura), en HaĂŻti avec Pamela CĂ©lestin, au SĂ©nĂ©gal avec Assane DiakhatĂ©, ancien PrĂ©sident du CIVD. il a fait sa thĂšse sur la transposition du dispositif dans une Ă©cole primaire Ă Dakar. Il est actuellement MCF en Sciences de lâĂ©ducation Ă Saint-Louis du SĂ©nĂ©gal et Francesca Machado** a fait la sienne sur la transposition du DPP : intervention/insertion dans le travail social.
LâĂ©quipe ici prĂ©sente :
- Françoise Chiclet, co-Ă©quipiĂšre de Vivre la langue mâa succĂ©dĂ©e comme responsable du dĂ©partement Communication/FLE puis Nicole Blondeau.
- Elena Karachontziti est ex-prĂ©sidente du CIVD. Elle a transposĂ© le DPP : intervention/insertion Ă lâInstitut catholique de Paris ainsi que Gergana Dimitrova, oĂč elles y enseignent actuellement.
- Nacer AĂŻt*, avec ses amis et collĂšgues inspecteurs, a introduit en Kabylie le dispositif pour lâenseignement du berbĂšre et formĂ© un grand nombre dâinstituteurs.
- Ferroudja Allouache a pratiqué le dispositif avec ses étudiants au département Communication/FLE et poursuivi la publication de la revue ECHOgraphie. Elle est actuellement MCF en littérature à Paris 8.
Et bien sĂ»r Nicole Blondeau avec qui jâai co-animĂ© les ateliers de pĂ©dagogie de projet Ă Paris 8 de 1997 Ă 2007 et participĂ© Ă un grand nombre de colloques internationaux, Ă des programmes ERASMUS et co-Ă©crit de nombreux articles.
Je vous recommande ces deux ouvrages :
* De la pĂ©dagogie de projet et de lâenseignement de la langue amazighe en Kabylie, Edition LâOdyssĂ©e, coordonnĂ© par Nacer AĂŻt Ouali (2013)
Le CIVD, trente ans de crĂ©ations et dâĂ©changes interculturels. Soyons rĂ©alistes, entreprenons lâimpossible » aux Ă©ditions du CIVD, coordonnĂ© par Christiana Charalampopoulo et Anastasia Souliotou. Maquettiste Ricardo Escobar (2015) avec, en premiĂšre de couverture, Michael et Tron.
Remerciements Ă Bernard Lehmann qui nous a appris en 1978 Ă faire le montage de Vivre la langue, Ă Patrice Besnard pour la restauration de ce film et un grand merci Ă HĂ©lĂšne Flekinger et Ă toute son Ă©quipe qui ont organisĂ© ces rencontres pour que lâhistoire de notre universitĂ© ne sombre pas dans lâoubli..
Le film Vivre la langue 1978 (57 mn)
http://www.archives-video.univ-paris8.fr/video.php?recordID=108
La présentation du DPP : intervention/insertion par Francesca Machado
http://amitie-peuples.net/PDP/Lugano-fr.htm
Le CIVD (Centre interculturel de Vincennes Ă Saint-Denis)
https://www.facebook.com/CIVD-Centre-Interculturel-288359429887
http://civd-paris8.wixsite.com/civd
LâONG LâAMAP (AmitiĂ© des Peuples du Monde)
http://amitie-peuples-mc.net