La crĂ©ation de l’AMAP est l’aboutissement d’un long processus sur lequel il faut sans doute donner quelques dĂ©tails.

En 1974, Ă  l’universitĂ© de Vincennes, une enseignante de « français langue Ă©trangĂšre » voit ses Ă©tudiants engagĂ©s dans une lutte contre les mesures de restriction de l’accĂšs des Ă©trangers Ă  l’universitĂ© française. Face Ă  cette lutte politique, les mĂ©thodes d’enseignement d’une langue Ă©trangĂšre les concernent peu. Annie CouĂ«del partage leur engagement, et dĂ©cide de transformer son cours en « comitĂ© de lutte ».

Peu importe les rĂ©sultats – faibles – de cette lutte. Ce dont s’aperçoit Annie C. est (aussi) pĂ©dagogique. Ses Ă©tudiants, au cours de cette action, en prenant des initiatives, en rĂ©digeant des tracs, en prenant la parole dans des AssemblĂ©es, ont appris le français plus vite – et mieux – qu’en subissant telle ou telle pĂ©dagogie. Parce qu’ils ont Ă©tĂ© obligĂ©s d’utiliser, vaille que vaille, le français ? Certes. On apprend mieux une langue en parlant et en Ă©coutant, Ă  la mesure des enjeux que propose la situation, qu’en apprenant dans un dictionnaire. Mais aussi pour d’autres raisons.

Tout d’abord parce qu’ils ont appris la langue telle qu’elle se parlait. Et tous les codes en vigueur autour d’elle, la posture, l’accentuation, les habits peut-ĂȘtre. Tout ce qui fait qu’on est Ă©coutĂ© et considĂ©rĂ©. Mais ces codes en impliquent d’autres, qui ne sont pas seulement des procĂ©dĂ©s d’expression. On apprend qui parle Ă  qui, et comment ; ce qui est acceptĂ© dans telle culture et ce qui ne l’est pas. Comment interprĂ©ter telle attitude d’un employĂ©, dans telle hiĂ©rarchie, ou d’une femme face Ă  un homme ou l’inverse. Bref, ce qui est en cause, plus qu’un moyen technique pour transmettre des informations, c’est la mise en jeu de l’activitĂ© d’une personne, de son statut, de ses relations dans une action : ce que nous avons tous appris en Ă©tant enfant, au cours d’un long processus.

Et pour que ce processus d’apprentissage rĂ©ussisse, il faut bien Ă©videmment que la personne qui s’y adonne le fasse d’une maniĂšre autonome. Faire un exercice de langue a comme objectif de se soumettre Ă  des rĂšgles, dont on ne connaĂźt pas nĂ©cessairement tous les dĂ©tails, ou que l’on sait abstraitement : comme dans un thĂšme latin. Et l’ordre est donnĂ© de l’extĂ©rieur. Tandis qu’une action dĂ©libĂ©rĂ©e, choisie, est vĂ©cue comme une entreprise personnelle. RĂ©ussir ou pas met soi-mĂȘme en jeu.

C’est ainsi qu’est apparue la pĂ©dagogie de projet, particuliĂšrement adaptĂ©e Ă  cette universitĂ© : le taux d’Ă©tudiants Ă©trangers le plus Ă©levĂ© en France, avec une pĂ©dagogie laissant l’enseignant entiĂšrement libre de ses mĂ©thodes, et l’Ă©tudiant libre de choisir tel ou tel enseignant ; avec un rejet de tout ce qui ressemble Ă  un examen et, pendant un temps, de toute forme de notation. Ce qui impliquait, souvent, que la validation des cours n’Ă©taient pas liĂ©e Ă  une Ă©preuve, mais Ă  un travail de recherche personnelle.

Dans le cours FLE d’Annie CouĂ«del, les Ă©tudiants proposent et dĂ©battent entre eux d’un certain nombre de projets, gĂ©nĂ©ralement entrepris par un groupe, qu’ils prĂ©sentent aux enseignants. Il peuvent se dĂ©rouler dans l’universitĂ© elle mĂȘme – un journal, un festival interculturel – dans la ville ou la rĂ©gion, ou mĂȘme dans le monde entier : Ă©difier une bibliothĂšque au Togo, une Ă©cole au Mexique. Pour soutenir ces projets, permettre leur rĂ©alisation, appuyer les demandes qu’ils nĂ©cessitent – financiĂšres, administratives – se crĂ©e, il y vingt ans, une association Ă©tudiante, le CIVD ou Centre interculturel de Vincennes Ă  Saint-Denis.

Sous l’impulsion d’un rĂ©alisateur chilien Daniel Sandoval, l’AMAP a Ă©tĂ© créée par d’anciens membres du CIVD, d’anciens Ă©tudiants ou des enseignants de Paris 8, des Ă©tudiants lancĂ©s actuellement dans des projets, mais aussi d’autres personnes qui ont eu l’occasion de suivre le dĂ©roulement de ces projets, de souhaiter le dĂ©veloppement d’une relation interculturelle oĂč se rencontrent peuples et cultures, Ă  un niveau international.