Assemblée générale de L’AMAP du 1er Avril 2020

Plus que jamais ensembles et proches

Nous avions l’habitude de nous rencontrer rarement, dispersés comme nous l’étions en habitant, en travaillant ou en étudiant au Brésil, en Haïti, au Chili, en Colombie, au Mexique, au Sénégal au Togo, en Grèce, en Bulgarie, en Italie, en Suisse, en France …

Aujourd’hui nous ne sommes plus dispersés mais séparés, y compris dans nos pays respectifs et comme nous nous sentons séparés nous sommes unis comme jamais dans l’Amitié des peuples du monde et la reconnaissance de nos multiples cultures.

Nous savons aussi que l’origine de tout cela n’est pas seulement un misérable virus, mais qu’elle est aussi la pauvreté, l’inégalité, la domination, le mensonge et l’indifférence mutuelle.

Alors promettons-de nous retrouver et de lutter pour nous retrouver dans l’amitié, dans la joie, dans la justice et dans l’échange encore plus intense de nos cultures, de nos langues et de nos richesses.

Que notre assemblée générale à distance vote à l’unanimité cette proposition !

Nous vous proposons de joindre à cette décision ce texte-témoignage d’une écrivaine, héroïne de la lutte des femmes et de tous ceux qui connurent ou connaissent encore l’oppression, que nous reconnaissons comme une des nôtres et choisissons pour nous représenter.

Guy Berger, membre du bureau de L’ AMAP.



Cergy, le 30 mars 2020

Monsieur le Président,

« Je vous fais une lettre/ Que vous lirez peut-être/ Si vous avez le
temps ». À vous qui êtes féru de littérature, cette entrée en matière
évoque sans doute quelque chose. C’est le début de la chanson de Boris
Vian Le déserteur, écrite en 1954, entre la guerre d’Indochine et celle
d’Algérie. Aujourd’hui, quoique vous le proclamiez, nous ne sommes pas
en guerre, l’ennemi ici n’est pas humain, pas notre semblable, il n’a ni
pensée ni volonté de nuire, ignore les frontières et les différences
sociales, se reproduit à l’aveugle en sautant d’un individu à un autre.
Les armes, puisque vous tenez à ce lexique guerrier, ce sont les lits
d’hôpital, les respirateurs, les masques et les tests, c’est le nombre
de médecins, de scientifiques, de soignants. Or, depuis que vous dirigez
la France, vous êtes resté sourd aux cris d’alarme du monde de la santé
et  ce qu’on pouvait lire sur la  banderole d’une manif  en novembre
dernier -L’état compte ses sous, on comptera les morts – résonne
tragiquement aujourd’hui. Mais vous avez préféré écouter ceux qui
prônent le désengagement de l’Etat, préconisant l’optimisation des
ressources, la régulation des flux,  tout ce jargon technocratique
dépourvu de  chair qui noie le poisson de la réalité. Mais regardez, ce
sont les services publics qui, en ce moment, assurent majoritairement le
fonctionnement du pays :  les hôpitaux, l’Education nationale et ses
milliers de professeurs, d’instituteurs si mal payés, EDF, la Poste, le
métro et la SNCF. Et ceux dont, naguère, vous avez dit qu’ils n’étaient
rien, sont maintenant tout, eux qui continuent de vider les poubelles,
de taper les produits aux caisses, de  livrer des pizzas, de garantir 
cette vie aussi indispensable que l’intellectuelle,  la vie matérielle.

Choix étrange que le mot « résilience », signifiant reconstruction après
un traumatisme. Nous n’en sommes pas  là. Prenez garde, Monsieur le
Président, aux effets de ce temps de confinement, de bouleversement du
cours des choses. C’est un temps propice aux remises en cause. Un
temps   pour désirer un nouveau monde. Pas le vôtre ! Pas celui où les
décideurs et financiers reprennent  déjà sans pudeur l’antienne du «
travailler plus », jusqu’à 60 heures par semaine. Nous sommes nombreux à
ne plus vouloir d’un monde dont l’épidémie révèle les inégalités
criantes, Nombreux à vouloir au contraire un monde  où les besoins
essentiels, se nourrir sainement, se soigner, se loger, s’éduquer, se
cultiver, soient garantis à tous, un monde dont les solidarités
actuelles montrent, justement, la possibilité. Sachez, Monsieur le
Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre vie,  nous
n’avons qu’elle, et  « rien ne vaut la vie » –  chanson, encore,
d’Alain  Souchon. Ni bâillonner durablement nos libertés démocratiques,
aujourd’hui restreintes, liberté qui  permet à ma lettre – contrairement
à celle de Boris Vian, interdite de radio – d’être lue ce matin sur les
ondes d’une radio nationale.

Annie Ernaux

(https://www.franceinter.fr/emissions/lettres-d-interieur/lettres-d-interieur-30-mars-2020)